ECOLE SUPÉRIEURE DE GUERRE NAVALE
17, PLACE JOFFRE - PARIS-(VIIe)

PARIS, le 51 mai 1963

L'AMIRAL

Mon cher COULAUD.

En réponse à votre lettre du 22 Mai, je vous adresse ci-dessous ceux des renseignements demandés que je suis en mesure de vous fournir. A toutes fins utiles, j'attire votre attention sur le fait que le Capitaine de Vaisseau PETESCH a été affecté pendant très longtemps à la 4 S1 et que le Contre-Amiral (E.R.) DURAND en a été le commandant à partir de la fin 1938, Enfin je vous conseille de ne pas trop faire confiance à ma mémoire, qui n'a pas réussi à enregistrer tout ce que j'ai vu ou connu depuis près de trente ans.

1.- Mon affectation à la 4 S1 d'Octobre 1937 à Décembre 1939.

2.- Appareils : 6 Cams 55 dits "fers à repasser",

On décollait "manette dans la poche" (en ce temps-là on ne "poussait" pas mais on tirait la dite manette), et on attendait que çà se passe, ce qui pouvait ne pas arriver quand le plan d'eau était "miroir.."
L'équipage comportait un officier, un officier-marinier pilote, un radio, deux mécaniciens.
On en était aux premiers balbutiements de 1' horizon artificiel. , et l'instrument le plus sûr était le "clino".

5.— Anecdotes

5.1.- A l'époque et les choses n'ont pas tellement changé - on aimait à se défouler par le truchement de savants rase-mottes. Un jour l'E.V. DUPRESSY (mort depuis en service aérien commandé a Dakar) nous revint quelque peu inquiet (j'étais alors second) et nous confia qu'en "reconnaissant" les zébus du Bey de l'Ish-keul, il lui avait semblé avoir "frôlé" quelque chose. De fait, dans l'heure qui suivit, un coup de téléphone nous annonçait le passage à trépas de l'un des dits zébus et, subséquemment, un repos forcé de l'ami DUPRESSY dans sa chambre.

5.2.- Dans le même ordre d'idées, j'avais un jour convenu avec l'E.V. de GUERRY (mort depuis lui aussi en service aérien commandé) d'"escorter" le paquebot (sic) faisant le service Tunis - Marseille. Cela se déroula lors du passage du "Grévy" dans le canal de la Goulette : nous nous présentions de façon à encadrer le bateau à hauteur du pont promenade ce qui, en raison des lignes téléphoniques parallèles aux berges, nous laissait une "garde" de un à deux mètres pour chaque extrémité de plan. Le malheur voulut que le Commandant Aéro du moment était à bord... d'où coup de téléphone, etc. (voir ci-dessus).

5.5. - A la déclaration de guerre en 1939, on ne savait pas très bien si 1' Italie était ou non dans le coup. C'est ainsi qu'une section (E.V. du MERLE et moi-même) reçut l'ordre d'aller "voir un peu" du côté de la Magdalena et d'enregistrer les réactions de cette base à notre vue. Nous comprîmes que si nous ne revenions pas,, c'est que l'Italie était en guerre. Nous revînmes !

5.4.- Le 9 (ou 11) Septembre 1939, par un temps légèrement brumeux, au large de Porto Farina, j'aperçus une "tache mobile" qui se révéla rapidement être une remontée d'huile d'un sous-marin à faible immersion (la veille l'E.V. MORANGE avait attaqué un périscope... en piqué !). J'avais deux bombes de 500 livres (fusée retardement) sous les plans et pour viser... un "Cayère-Montagne", Bien entendu je m'étais placé à l'avant (poste de l'observateur - nez au vent -visage claqué par les tirettes du casque de cuir, etc...) et au poste de pilotage était le Premier-maître FERRY (réserviste pilote de ligne). Nous fîmes deux présentations comme à l'exercice ; altitude 500 mètres - vol rectiligne. A chacune je larguai une bombe. La première tomba sur la tache mobile mais n'explosa pas (ce qui arrivait fréquemment !); la seconde fit mouche elle aussi et consentit à remplir son devoir. La tache s'agrandit et devint quasi immobile cependant que nous orbitions.. et que je m'emmêlai avec le code du moment pour prévenir Bizerte.
Des recoupements effectués après la guerre, il se confirma qu'il s'agissait d'un sous-marin italien qui réussit finalement à aller s'échouer à Lampedusa et ne put jamais être réutilisé : c'était le premier sous-marin "sûr" de la guerre !
A noter que l'on "n'y croyait pas beaucoup" à Bizerte... jusqu'à ce que furent développées et soumises à l'Amiral (RIVET) les douze photos prises pendant l'action par le mécanicien (BOTELLA) : on but beaucoup de Champagne à cette occasion !

J'espère que cela vous ira et que mes amis PETESCH et DURAND sauront mieux que moi vous aider à vous documenter sur cette vieille 4 S1 que nous adorions malgré ses hydravions déjà plus qu'"obsolètes" en 1939..."

Amicalement à vous,

Vice-Amiral C.E. LAHAYE