dans "Le fana de l'Aviation" (oct 1990)

Dans une série de trois articles, Jean Moulin analyse les raisons qui ont conduit à l'opération "Mouquetaire", sa préparation et son déroulement. Ces articles très détaillés sont axés sur l'action des Corsair des Flottille 14F et 15F, mais ils n'oublient pas les autres participants de l'Aéronavale. Ci-après sont les extraits concernant la Flottille 9F et ses TBM.

Octobre 1956 […] Les militaires ont reçu leurs ordres [...] La Marine, quant à elle, a mis au point son dispositif. Pour la composante aéronavale, deux porte-avions sont retenus pour l'opération : l'Arromanches et le La Fayette. Aux ordres du Contre-amiral Caron, amiral porte-avions, ils embarquent deux flottilles assaut équipées de " Corsair " : la 14 F et la 15 F. Leurs objectifs prioritaires seront l'attaque des aérodromes égyptiens et l'appui des troupes au sol. La sûreté anti-sous-marine, elle, sera assurée par la 9 F armée de TBM " Avenger ". A ces trois flottilles viendront s'ajouter deux Piasecki HUP-2 de la 23 S pour la sauvegarde de chaque porte-avions. […] Les signes avant-coureurs d'une opération combinée se précisent donc, mais ce ne sont toujours que des rumeurs. […]

La 9 F, commandée par le LV. Bros est basée à Aspretto. Depuis la réorganisation des unités de l'Aéronautique navale en juin 1953, elle a délaissé le bombardement en piqué (sur Curtiss SB2-C " Helldiver ") pour devenir une flottille ASM embarquée. Elle est équipée d'un nombre égal de Grumman TBM " Avenger " 3W et 3S. Le premier muni d'un radar ventral APS-20 a pour fonction, en mission de surveillance, de détecter les échos suspects autour de la flotte. Il vole toujours en section avec un chargé de l'identification des échos repérés au radar, et de l'attaque éventuelle. Les deux appareils forment un tandem baptisé " hunter-killer". A la flottille également, depuis le mois d'août, l'entraînement s'est intensifié : mission de surveillance, ASSP, appontages sur l' Arromanches au large de la Corse ou de la Provence. […]

L'Arromanches, qui arbore la marque de l'Amiral Caron, a également quitté Toulon. Il est devant les côtes de Tunisie le 23 et recueille ses avions : la 14 F (16), ainsi que quelques TBM de la 9 F qui se sont regroupés à Karouba en provenance d'Aspretto avant d'apponter (le reste de la flottille a été recueilli au large de la Corse) [les TBM indisponibles pour entretien ont été remplacés par des appareils empruntés à la 4F]. En début d'après-midi, le 27 octobre, l'amiral porte-avions reçoit l'ordre d'appareillage pour 21 h le soir même. Le commandant de I''Arromanches est immédiatement informé, quant au CV Laine, mouillé en rade avec le La Fayette, c'est le LV Hurel, aide de camp de l'amiral, qui vient lui remettre en vedette l'ordre écrit. Alors que le préparation de l'opération traîne depuis de nombreuses semaines, et que l'incertitude quant à son déclenchement même persiste jusqu'au bout, le départ des porte-avions se fait de façon rapide, sinon précipitée. Au plus haut niveau, les politiques ont enfin donné le " feu vert ".

Dans la soirée, le groupe des porte-avions a quitté la base navale française de Tunisie, et mis le cap à l'Est. Le lendemain sur la radio de bord, le CV. Laine, dans une communication à l'équipage, lève enfin le secret et explique le but de la mission et ses raisons, à la fois politiques et stratégiques. Les pilotes découvrent l'opération Mousquetaire, ou plus exactement Musketeer, car la totalité des ordres et directives est rédigée en anglais. Sur I''Arromanches, c'est le CV Vedel, chef d'état-major de l'amiral Caron, qui l'annonce dans un " briefing " au personnel des flottilles. Chez les pilotes de " Corsair " notamment, jeunes pour la plupart, c'est l'enthousiasme d'en découdre qui prime, on " montrera Nasser ce dont l'Aéronautique navale est capable "... L'inquiétude, l'anxiété des départs en mission de guerre ne viendra que plus tard. Pour tous, la nouvelle n'est qu'une confirmation de ce dont on se doutait depuis longtemps. Mais ce qui en étonne plus d'un, c'est la perspective de travailler en étroite collaboration avec les Anglais, et même sous leurs ordres.

Dans les hangars et sur le pont, on s'active autour des avions. Les bandes jaunes et noires que l'on s'applique à peindre sur les ailes et les fuselages, les font ressembler à de grosses guêpes... Autour des porte-avions la navigation des différents bâtiments engagés pour l'opérations se fait en ordre dispersé. Le La Fayette et l'Arromanches eux-mêmes ne naviguent pas à vue. A bord, les pilotes ne soupçonnent pas encore l'importance du dispositif qui ne se mettra définitivement en place qu'au large de l'Egypte. C'est au retour du seul vol technique effectué pendant le transit que le maître Kerhoas (de la 12 F) apprend à ses camarades " qu'il y a beaucoup de monde tout autour " !

Le 30 octobre dans la matinée, l'Arromanches fait sa jonction avec les escorteurs rapides Corse, Brestois, Boulonnais et Bordelais et effectue un ravitaillement à la mer avec l'Elorn et la Baïse.

Vers 16 h au Sud-Est de la Crète, plusieurs bâtiments dont deux "bateaux plats" apparaissent par le travers : c'est la VIe Flotte. Sa présence n'était pas réellement prévue... En fait, pendant toute l'opération les Américains observeront les évolutions du dispositif franco-britannique. Celui-ci sera survolé à plusieurs reprises par les appareils de l'US Navy, mais surtout ce sont les sous-marins américains qui mettront la flotte alliée dans une position inconfortable, voire démoralisante. A bord des porte-avions la veille doit être permanente. Certes, l'état-major considère qu'il n'y a en Méditerranée orientale aucun sous-marin susceptible d'action hostile. Cependant la découverte d'un périscope ou d'un écho au sonar est toujours de nature à susciter l'inquiétude. En pleine opération, le 3 novembre, l'amiral Lancelot, dans le doute, et pour éviter toute bavure donnera l'ordre de " ne répliquer que si un sillage de torpille était détecté... " Ce qui laisse un délai de réaction particulièrement court et met les nerfs des équipages à rude épreuve... II apparaît ainsi que si les Etats-Unis ne se sont pas opposés à l'opération sur le terrain, Ils n'en ont pas moins exercé une pression psychologique non négligeable dès les premiers jours.

Le 30 octobre, en fin d'après-midi, le dispositif français (Task Unit 345-4-2) est au contact de la flotte britannique dont un officier de liaison est transféré sur l'Arromanches. Il apporte les instructions du Flag Officier Aircraft Carrier (FOAC), le Vice-amiral Power, commandant opérationnel de tous les porte-avions sur zone (Task Force 345-4). Puis chaque groupe de porte-avions rejoint son secteur. Le lendemain 31, la flotte française croise devant le delta du Nil. L'Aéronautique navale est à pied d'œuvre. Dans l'après-midi l'Arromanches catapulte une section de TBM pour une reconnaissance. C'est le premier vol sur zone ; les hostilités n'ont pas encore été officiellement déclenchées. Pour parer cependant à toute éventualité le (" Killer ") est armé, outre ses deux mitrailleuses de 12,7 mm d'ailes, de huit roquettes, et de quatre grenades ASM de 250 livres en soute.

Le TBM 3W conduit la patrouille et assure la navigation, son équipier en bout d'aile. Sur l'écran radar qui reproduit la côte devant le port d'Alexandrie, deux échos mobiles apparaissent. Immédiatement, le 3S (9-F3) piloté par I'OE3 Scioretto rompt la formation, et, guidé par le radariste, se dirige vers l'objectif pour l'identification. Ce sont deux navires égyptiens qui viennent d'appareiller. Le pilote survole les bâtiments sur leurs arrières ; ils ne semblent pas manifester d'intentions hostiles. Quelques instants plus tard, ils font demi-tour, intimidés semble-t-il. Le TBM n'insiste pas, rejoint son leader. Ils rentrent à bord après une patrouille de 4 heures 30.

Deux jours plus tôt, les Israéliens avaient déclenché leur offensive dans le Sinaï avec l'appui aérien tactique discret de l'Armée de l'Air. La France et la Grande-Bretagne lancent leur ultimatum qui est rejeté, comme prévu. Le 31 octobre au soir, les opérations commencent tandis que les porte-avions se retirent à 100 milles au large par crainte d'une attaque de vedettes rapides.

[...] Depuis plusieurs jours, le type de munitions à utiliser pour une attaque de navires à la mer fait l'objet de vives discussions. Lors d'une conférence réunie le 29 octobre sur l'Arromanches, les commandants des flottilles et le Chef d'état-major, le CV Vedel, plaident pour une attaque à la roquette, mais en vain. L'amiral Caron tranche en faveur des bombes de 1 000 livres.

[...] Les reconnaissances aériennes font état de bâtiments américains ancrés à Alexandrie au milieu des navires égyptiens. Une fois de plus, il semble que la VIe Flotte joue les trouble-fête. Les bateaux égyptiens ne seront attaqués que s'ils appareillent et font preuve de velléités agressives. Toute sortie d'Alexandrie pourra être détectée par les radars et les TBM de l'Arromanches. [...]

Le 1er novembre au matin, les huit " Corsair " d'alerte attendent en épi sur le pont d'envol. Pas longtemps, car un tandem de TBM de la 9 F vient de repérer à 5 h locale un destroyer "égyptien sorti du port d'Alexandrie. C'est le Nasser, un des deux destroyers de type Skori livrés par les Soviétiques quelques mois plus tôt.

Le LV Lemaire, commandant en second la 9 F est à la tête de la patrouille " Spartacus bleu " à bord du TBM 3W 9 F-7. Il envoie son équipier le SM Fourgaut pour une identification à basse altitude, mais celui-ci est rapidement pris à partie par la DCA du bord, il s'éloigne sans attaquer et garde le contact. Sur I' Arromanches, l'amiral porte-avions rend compte immédiatement au Flag Officier Aircraft Carrier sur I' Eagle et demande l'autorisation d'effectuer une mission d'attaque sur ces navires égyptiens. A 6 h 35, soit une heure et demie après, la réponse positive parvient

Sur I' Arromanches. L'Amiral Caron ordonne aussitôt la mission à la 15 F. Il précise que le bombardement sera du type 12 000-8 000, c'est à dire, un début de piqué à 12 000 pieds et une ressource après largage des bombes à 8 000 pieds. Chez les pilotes, c'est la stupéfaction. Parfaitement entraînés aux bombardement 9 000-4 000, 7 000-3 000, ou encore 3 000-1 000, ils savent qu'en larguant à 8 000 pieds, ils ont toutes les chances de manquer leur but. Le LV Degermann doit cependant se résigner et se plier aux ordres reçus. L'amiral voulait-il seulement intimider le bâtiment égyptien, ou était-il soucieux d'éviter qu'un de ses pilotes ne soit abattu ?.

[les Corsairs attaquent] A 8 000 pieds , largage. Ressource. C'est beaucoup trop haut ! les bombes tombent bien loin du but. Les deux derniers à attaquer, les Seconds-maîtres Cousyn (15 F-15) et Rougier observent, impuissants, d'énormes gerbes d'écume très loin derrière l'objectif... Cependant, pour se dérober à l'attaque, le navire égyptien émet un rideau de fumée. Aussitôt à la radio un pilote s'écrie :
- On dirait qu 'il a été touché ! Il fume ! "
- Ça m'étonnerait, répond de Saint Quentin... De l'altitude où on a largué... !  "
Mais à bord de l'Arromanches, où l'Amiral Caron suit l'attaque à la radio de bord, on n'a entendu que la première phrase !. C'est le début d'un vaste quiproquo !. L'Amiral Caron transmet trop précipitamment à l'Amiral Barjot dont le PC se trouve sur le Gustave Zédé :
- Un des pilote annonce que le destroyer a été touché ! "
Et l'Amiral Barjot de télégraphier à Paris... Le lendemain " l'attaque réussie " des " Corsair " du La Fayette s'étale à la une des journaux !.

Alors que les deux patrouilles se reforment à haute altitude la DCA continue de tirer. L'EV Andrieu s'exclame :
- Je suis à 14 000 pieds (25),et ils me tirent encore dessus ! "
- Mais ils ont le droit !" lui est-il répondu... […]

Sur l'Arromanches, les premiers avions catapultés ont été les TBM. Depuis l'aube des tandems de 3W et de 3S se relaient en mission de surveillance au dessus de la Flotte dans un rayon de cinquante milles nautiques. Toutes les quatre heures ils sont relevés sur zone. Dans l'après-midi un TBM 3W a repéré sur son écran radar un bâtiment non identifié entre la côte et le point Alpha-Alpha. Le pilote du (la 9F a reçu le renfort d'avions de la 4F) est immédiatement envoyé en reconnaissance. Il identifie un dragueur de mines américain solitaire qui n'arbore pas son pavillon de nationalité. Au second passage, le pilote aperçoit un marin courant à toutes jambes de la passerelle vers l'arrière où il s'empresse de hisser la bannière étoilée ! Sourires dans l'habitacle. Le TBM exécute un dernier passage en battant des ailes avant de rallier son équipier. […]

Le 2 novembre la mer est calme et le vent...nul. Sur l'Arromanches, la 14 F et la 9 F sont immobilisées, les catapultages sont impossibles !. […]

Le 3 novembre, au lever du jour un premier briefing réunit quatre équipages de TBM (dont deux de remplacement). Un officier du service opérations leur présente leur mission de surveillance anti-sous-marine et leur zone de patrouille. Sur l'arrière de l'Arromanches, deux sections de TBM rangés en épi attendent leurs équipages, devant des " Corsair " mis en place pour la mission du jour ; dans le 3W, le pilote, le radariste et le navigateur, dans le 3S, le troisième est remplacé par le bombardier. Sur l'ascenseur avant, le HUP-2 de sauvegarde, rotors tournants attends l'ordre de décoller de la passerelle-avia.
- Pedro, vert, décollage". Puis:
- Pedro, prenez votre circuit d'attente. "
L'hélicoptère vient se placer docilement sur tribord à une centaine de mètres de l'avant du pont d'envol, en translation à 45°, à environ 50 pieds. Derrière le pilote surveillant attentivement les mouvements aviation, se tient le mécanicien volant, qui actionne le treuil, et le plongeur.
Les haut-parleurs du bord annoncent à l'adresse des pilotes :
- En route les moteurs ! "
Le démarrage se fait au groupe électrique, dont le câble passe à travers le pont pour être branché derrière le capot moteur. Après essai-radio, les deux TBM, l'allure un peu gauche sur leur train haut et cambré avancent vers la catapulte. Pris en main par le directeur de pont d'envol, le premier avion se présente à 45° de la catapulte ; la roue droite vient buter sur la barre de guidage. Le chien jaune, la main droite vers le bas pour indiquer la roue à bloquer, fait avancer l'avion avec la main gauche. Un peu de moteur pour s'aligner sur le rail. Coup de frein. Les équipes de pont se précipitent, fixent l'élingue sous les ailes et la capèlent au sabot. Les freins sont relâchés, le " hold-back ", qui retient l'avion, fixé. Le sabot avance légèrement et les élingues sont raidies, le directeur de pont d'envol passe la suite de la manoeuvre à l'officier de pont d'envol qui tient dans ses mains deux pavillons, vert à droite, rouge à gauche. Par de rapides rotations du pavillon vert au dessus de sa tête, il indique au pilote de mettre plein gaz. L'avion vibre. Coup d'oeil rapide aux instruments : nombre de tours, pression à l'admission, température d'huile... L'avion est correctement compensé, la manette des gaz est verrouillée (pour éviter qu'elle ne revienne sur l'arrière dans l'accélération). Le pilote salue l'officier de pont d'envol sur sa droite, se cale sur le repose-tête, pose sa main droite, pouce ouvert derrière le manche, et sa main gauche sur la manette des gaz. L'officier abaisse son pavillon vert jusqu'au sol. Le directeur de catapulte, en face de lui, au ras du pont, dans les baignoires, actionne le système hydraulique. L'accélération est brutale. En sortie de catapulte, l'avion est à 90 noeuds. Le pilote reprend les commandes, rentre le train et les volets.

Le 3W qui est le chef de section décolle, effectue un large virage de 90° par la gauche pour rejoindre l'altitude habituelle de patrouille à 1 000 pieds. Le 3S vire dès après le catapultage et rassemble rapidement sur son leader. A cette altitude, le radariste a toute la flotte française devant ses yeux et, au bord de son écran, la côte égyptienne. La présence d'un sous-marin est possible dans la zone de patrouille. Il s'agit vraisemblablement de l'un des deux sous-marins américains qui marque le dispositif allié, mais il serait malgré tout préférable de s'en assurer. Le 3S largue ses bouées sonores (il en a embarqué douze dans ses soutes), que le radio écoute attentivement. La recherche reste infructueuse.

La patrouille, en l'air depuis près de quatre heures, est rappelée. " Sapho " informe que la patrouille de relève vient d'être catapultée. Après avoir reçu le " Charlie ", les deux TBM se présentent au " break " dans l'axe du porté-avions, et quelques instants plus tard crochent tous les deux... avec leurs charges de guerre. Lors des premiers vols, les TBM, de retour de patrouille larguaient leurs munitions avant chaque appontage. Mais très vite, vu le gaspillage, ils seront autorisés à se poser avec leur charge de guerre complète.

En début d'après-midi, c'est la patrouille commandée par l'EV. Mienville qui est en l'air. Le radariste, de son TBM 3W, vient de détecter un écho suspect à quinze milles de là. Le 3S du SM. Malaise est immédiatement envoyé pour identification. C'est un périscope... Conformément aux ordres reçus le matin au briefing, le pilote se prépare à une attaque. Trappe ouverte, circuit d'armement branché, il se rapproche de l'objectif. Alors qu'il arrive en phase finale, prêt à larguer ses grenades, l'Arromanches retransmet d'urgence un message en provenance de l'Amirauté britannique à Malte :
- " Pas de sous-marin hostile sur zone. Interdiction d'attaquer tout submersible ".
Quelques secondes seulement après réception, le pilote survole le sillage du bâtiment en immersion périscopique. Des informations ultérieures permettront d'identifier le sous-marin américain Cutlass. La méprise que l'état-major redoute tant depuis le début des opérations vient d'être évitée in extremis... [...]

La " patrouille Kamikaze ".
Le 5 novembre, alors que l'aube pointe, les sont déjà sur leur zone de patrouille. Cette fois, les ordres reçus autorisent les attaques sur les petits bâtiments de surface, type vedette lance-torpilles. Trois échos viennent d'être détectés au Nord d'Alexandrie par le TBM 3W du LV. Lemaire (9 F-11). Son équipier, le SM. Fourgaut, se porte au devant de l'objectif et ne tarde pas à annoncer :
- Vedette en vue, droit devant !"
Aussitôt, il prépare son attaque, mais les vedettes grossissent étrangement dans le collimateur. Ce sont trois frégates, qui, devant son approche résolue tirent sur lui de toutes leurs pièces. Il maintient malgré tout sa ligne de vol au milieu des éclatement de DCA, et, à 500 mètres, tire ses huit roquettes sur le premier navire. Plusieurs projectiles explosent sur la plage arrière causant des dommages importants ; puis il presse la détente de ses mitrailleuses de 12,7 mm et largue deux grenades ASM, mais de trop bas pour qu'elles aient le temps de s'armer. A trente pieds, Fourgaut rejoint son leader qui s'est rapproché du lieu de combat.

Alors que les tirs de DCA cessent, le contrôle du porte-avions annonce que deux chasseurs se rapprochent par l'arrière. Aussitôt, les deux TBM enchaînent une succession de " breaks " en ciseau, au ras des vagues. Coups d'oeil sur l'arrière, mais trop furtifs pour pouvoir identifier les attaquants. Des chasseurs égyptiens ? Il n'y a plus d'aviation égyptienne, et aucun de ces assaillants n'a encore ouvert le feu. Alors il ne peut s'agir que des chasseurs américains... Effectivement, et ce n'est pas la première fois que des avions embarqués de l'US Navy simulent une attaque sur les TBM. Mais juste après l'action sur les frégates, l'émotion est forte, et les deux équipages retrouvent, non sans plaisir, l'Arromanches sur la ligne d'horizon. Le contrôle de bord ne considère pas pour autant leur mission comme terminée et les lance en patrouille ASM !

Ce n'est qu'après trois heures cinquante de vol que les deux TBM rejoignent le circuit d'appontage. Après l'attaque des bâtiments égyptiens, le tandem sera baptisé la " Patrouille Kamikase ", et le SM. Fourgaut se verra décoré de la croix de guerre TOE.

[Le débarquement est lancé !] Depuis 6h 30, les chalands de débarquement se succèdent, devant port-Saïd pour les Anglais, devant Port-Fouad pour les Français, alors que les TBM assurent la surveillance du dispositif. Les commandos Marine ont abordé parmi les premiers, suivis du 1er REC et de son état-major, puis le matériel lourd, un escadron de char AMX, une demi-batterie de 105 mm. A 9h, les armes se taisent dans Port-Fouad. Dans l'après-midi, AMX et véhicules du 1er REC sont débarqués. Des patrouilles de " Corsair " survolent la zone en permanence, mais la résistance a cessé.

[...] Le soir du 6 novembre, tout est prêt pour que l'opération se poursuive vers le sud avec des moyens importants. C'est alors que la nouvelle stupéfiante du cessez-le-feu éclate. L'opération est terminée. […] Sur le Gustave Zédé, navire de commandement, le message est parvenu à 18h 42. Il est confirmé à 20h sur les ondes de la BBC. Le cessez-le-feu doit prendre effet à 0h le 7. Après l'incrédulité, c'est la stupeur, puis l'amertume et la colère :
- S'arrêter en plein élan a été ressenti comme une humiliation " remarque le CV. Dalle.

Il a manqué 24 heures, peut-être 48 tout au plus pour investir complètement le Canal... La pression internationale avait eu raison de l'opération franco-britannique. Cette pression fut surtout le fait des deux grands : il n'y avait cependant pas eu entente, mais simplement coïncidence d'objectifs. Les Soviétiques soutiennent l'Egypte, et ont, à Suez, l'occasion inespérée de contrer les deux grandes puissances coloniales occidentales. Le 5 novembre, le Maréchal Boulganine lance à la France et à la Grande-Bretagne un ultimatum assorti de menaces de représailles nucléaires. Il s'agissait, certes, d'un bluff dans la mesure où l'URSS ne pouvait pas porter le feu nucléaire contre les alliés des Etats-Unis sans encourir elle-même des représailles massives. Cependant, la France et la Grande-Bretagne ne pouvaient prendre de telles menaces à la légère. [...]

Les porte-avions se retirent.
Les jours suivants, le temps se détériore. Les appareils sont maintenus en alerte, à la disposition des troupes au sol. […]

Le 9 novembre, le La Fayette se rend à Limassol (Chypre) afin de se ravitailler. Le 12, il est de retour au large de l'Egypte. Le lendemain, le TBM 9 F-14 de l'OE Scioreto dépose l'Amiral Caron à Akrotiri (Chypre) où il rencontre l'état-major anglais et l'Amiral Barjot. Le départ de I'Arromanches est décidé. Après une escale à Limassol, le porte-avions appareille le 16, mais une avarie de chaudière l'oblige à faire demi-tour ; vers 20 h, ce n'est qu'avec une seule machine qu'il met le cap sur la Tunisie. Le 21 novembre, la 14 F et la 9 F sont catapultées sur Karouba. Une partie de la flottille de TBM est restée à bord, elle rentrera sur Hyères puis Aspretto avec le porte-avions les jours suivants. Le lendemain, l'Arromanches est le premier bâtiment à franchir le canal de Bizerte après l'opération, pavillon à mi-mât en signe de deuil [en mémoire du LV Lancrenon, O2 de la 14 F, abattu pendant l'attaque de l'aérodrome du Caire-Almaza, et sans doute lynché par la foule].

Les pilotes de la 9F (liste partielle)

LV BROS (cdt)
LV LEMAIRE (O2)
EV MIENVILLE
OE3 POBELLE
OE3 SCIORETO
SM FOURGAULT
SM MALAISE

Les TBM de la 9F


9F- 3, 5, 6, 7, 10,
      11, 14,15, 25


4F- 3, 7, 18