Dans le premier semestre de 1956, le colonel Gamal Abdel Nasser, président de l'Egypte, mène une politique d'expansion en espérant unifier le monde arabe. Dans ce but, il s'oppose au nouvel état d'Israël, contrarie les intérêts anglais dans la péninsule arabique et apporte un soutien actif à la rébellion algérienne contre la France. Mais la décrépitude de l'économie égyptienne est un frein à cette ambition. C'est pourquoi le Rais (Nasser) décide de construire le barrage d'Assouan. C'est une opération pharaonique qui est supposée apporter à l'Egypte l'indépendance énergétique et agricole. Il demande aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne de financer cette construction. Le 19 juillet 1956, les États-Unis refusent d'y participer. Le lendemain, la Grande-Bretagne retire également son aide économique. Tous deux doutent de la viabilité du projet, et surtout l'expansionnisme pan-arabe de Nasser les inquiète.

Pour trouver les ressources nécessaires, le président Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez le 26 juillet 1956. Ce faisant, il prend le contrôle de la liaison maritime entre la Grande-Bretagne et ses intérêts dans la péninsule arabique et les Indes. La majorité des actionnaires lésés sont français. Cependant, le gouvernement socialiste de Guy Mollet voit surtout l'occasion de neutraliser le principal fournisseur d'armes et soutien politique du FLN algérien. Il en est de même pour Israël, directement menacé par la montée de la puissance de Nasser.

Sous l'impulsion de la France, une opération militaire est organisée dans le but de reprendre le contrôle du Canal et d'amener le renversement de Nasser. Pour convaincre les Anglais, d'abord réticents, on leur laisse le commandement de l'expédition. Les Soviétiques sont alors empêtrés dans la contestation en Europe de l'Est (23 octobre : insurrection à Budapest). On pense donc qu'ils ne pourront pas intervenir. Et un malentendu s'installe avec les Etats-Unis, qui prêchent la prudence, mais ne s'opposent pas nettement au projet.

La mise en place du corps expéditionnaire, qui doit opérer à partir de Chypre, est compliquée par les relations difficiles entre les états-majors anglais et français. Finalement, "l'Opération Mousquetaire" réunit 90 000 soldats (50 % anglais, 50 % français), 500 avions (300 anglais, 200 français) et 130 navires (100 anglais dont 5 porte-avions, 30 français dont 2 porte-avions). Parallèlement, la France transfère à Israël un nombre important d'avions de combat avec pilotes et mécaniciens.

Le 29 octobre, en avance sur le calendrier prévu, les Israéliens attaquent. C'est l'opération "Kadesh". En une semaine, ils feront 15 000 prisonniers, traverseront le Sinaï et atteindront le golfe d’Akaba.

30 octobre : Ultimatum franco-anglais interdisant aux belligérants d'approcher à moins de 16 km du canal. Devant Haïfa, l'escorteur français Kersaint tire sur le destroyer égyptien Ibrahim-el-Awal, qui sera récupéré par Israël.

31octobre : A l'expiration de l'ultimatum, attaques aériennes anglaises et françaises [260 avions détruits dont 18 bombardiers à Louxor par 2 raids français partis de Lod (Israël)].

4 novembre : Opération "Omelette " aéroportée franco-anglaise sur Port-Saïd (les paras français de Massu sautent à 120 m d'altitude). Les objectifs sont atteints avec des pertes minimes : moins de 10 tués et une trentaine de blessés.

5 novembre : Le Maréchal Boulganine, au nom de l’URSS, met la France, la Grande Bretagne et Israël en demeure de se retirer, en parlant en termes vagues de l’emploi de fusées stratégiques. Guy Mollet croit à un " bluff ".

6 novembre : Les Alliés prennent pied en Egypte de chaque côté du canal : les Français à Port-Fouad, les Britanniques à proximité de Port-Saïd. L'offensive est un franc succès. Progression rapide vers Ismaïlia.

Eisenhower, Président des USA, téléphone au Premier Ministre britannique Anthony Eden pour qu’il arrête les opérations. Il menace de laisser la livre sterling, attaquée depuis plusieurs jours, s’effondrer. A Wall Street, la monnaie anglaise perd 15 % en quelques heures. Eden cède aussitôt, sans prendre l’avis de la France.

7 novembre : Le gouvernement anglais annonce le cessez-le-feu. Les Français sont bien obligés de suivre, tout en espérant reprendre le combat.

11 novembre : Nasser accepte l'intervention d'une force de l'Onu, qui commence à arriver le 15.

22 décembre : Fin de l'évacuation franco-britannique.

Pertes anglaises : 22 †, 97 blessés, 8 avions (5 abattus, 3 détruits par accidents);
Pertes françaises : 11 †, 44 blessés, 2 avions (1 disparu (Corsair 14F, LV Lancrenon), 1 hors service après accident).

Les Israéliens finiront par évacuer les territoires occupés en mars 1957.

Grâce à une propagande savamment orchestrée, Nasser, vaincu militairement, va donner le sentiment qu’il a remporté la partie. Mais il est devenu totalement dépendant du soutien soviétique et sa politique pan-arabe est entravée. C'est l'URSS qui va fournir le financement du barrage d'Assouan, lequel n'atteindra jamais ses objectifs économiques et se révèlera un désastre écologique.

L'affaire de Suez marque l’avènement définitif des deux superpuissances américaine et soviétique. La Grande-Bretagne doit admettre qu'elle n'est plus qu'un supplétif des Etats-Unis. L'armée française, après l'humiliation indochinoise, a la désagréable sensation qu'on lui a " volé " sa victoire. Elle s'en souviendra en Algérie un an et demi après.

Hugues de Pouqueville